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À La Une - Rencontre

L’art libanais aux enchères de Nada Boulos el-Assaad

Elle a imposé son « marteau » dans un milieu jusque-là purement masculin. Nada Boulos el-Assaad est la première Libanaise à exercer le métier de « commissaire-priseur ».

Nada Boulos, une « auctioneer » en pleine action... (Photo Ibrahim Tawil)

À raison de deux ventes spécialisées par an, Nada Boulos el-Assaad fait monter les enchères de l’art moderne et contemporain libanais. Cette élégante jeune femme brune exerce ce métier à compétences multiples depuis une vingtaine d’années. Avec sérieux et discernement.


Diplômée en sciences politiques de l’AUB, Nada Boulos el-Assaad décroche une maîtrise en option droit à Assas (Paris II), avant de suivre les cours « Works of Art » de Sotheby’s et d’intégrer le cabinet d’un grand commissaire-priseur à Paris, chez qui elle travaillera durant 6 ans. « C’était la deuxième étude de France et on s’y occupait beaucoup de ventes d’art primitif, moderne et contemporain. C’est là que j’ai vraiment appris le métier d’”auctioneer” », dit-elle. Précisant que le terme de commissaire-priseur est une appellation strictement française appliquée aux officiers ministériels, nécessitant un cursus spécifique et une sélection sur concours.


Débats de terminologie mis à part, la profession reste la même. Elle nécessite à la fois des connaissances artistiques et juridiques, des capacités relationnelles et d’organisation d’événementiels. Et, dans certains cas, un certain sens du spectacle. « C’est un microcosme qui fonctionne avec les mêmes règles internationales que partout ailleurs : Paris, Londres ou New York...», assure-t-elle. Avant d’ajouter : « Mais, bien évidemment, à l’échelle du pays. »


De retour à Beyrouth en 1992, la jeune femme lance directement ses propres « ventes publiques de spécialité », qu’elle consacre, déjà, aux toiles de peintres modernes et contemporains libanais.
« Elles ont, quelque part, contribué à mettre une estimation aux œuvres de cette période et à donner un nouvel essor à l’art au sortir de la guerre. » Jusqu’en 1998, elle organisera deux ventes de sculptures et tableaux libanais par an ainsi que deux autres plus généralistes.
Au bout de cette période, constatant une baisse de l’intérêt des collectionneurs pour la peinture libanaise (ils se tournent alors vers l’art européen contemporain), elle met son activité en sourdine, pour se consacrer à sa famille et à l’éducation de ses enfants.


Elle travaille durant deux ans avec Art Auctions, conduit quelques ventes de charité, monte des expositions d’art contemporain avec des institutions financières (FFA, plus précisément, qui avait envie de s’impliquer dans la scène artistique libanaise et soutenir des artistes de talent), s’engage en 2008 avec Apeal (association pour la promotion et l’exposition de l’art libanais à l’étranger) et reprend ses ventes aux enchères en juin 2012, à la faveur d’un engouement retrouvé pour la peinture libanaise.


Jugeant que « Christie’s, qui a des impératifs de taille, de couleurs, de sujets, n’est pas un débouché pour toutes les œuvres et tous les artistes. Et que les grandes maisons de ventes anglaises ne font pas vraiment dans la peinture moderne libanaise », Nada Boulos el-Assaad prend alors le pari d’exploiter à nouveau ce créneau au Liban. Le succès qu’elle récolte pave la voie à d’autres « auctioneers » qui s’empressent de suivre son exemple. Au risque, peut-être, de couler ce marché fragile et inondé de... faux ?

« En effet, dit-elle, d’où l’importance de l’expertise. » « Car si le phénomène est mondial, il prend encore plus d’ampleur au Liban. Il faut réellement être très vigilant, parce que tous les artistes, même ceux qui sont vivants, et pas seulement les grands noms, sont copiés », assure Nada el-Assaad. Qui avoue même avoir retiré en dernière minute de sa dernière vente deux pièces (de Halim Jurdak) qui ont été dénoncées comme étant le travail d’un faussaire.


À ce propos, qui s’occupe d’expertiser et d’estimer les œuvres prisées ?
« Pour l’expertise, on fait appel pour chaque artiste à un expert qui peut parfois être un critique, un membre de sa famille, sa femme, ses héritiers, le ou la galeriste avec qui l’artiste a beaucoup travaillé, une fondation... Ce qui parle pour une œuvre d’art, c’est sa provenance, en plus, évidemment, de l’examen des indices stylistiques de l’œuvre. »
L’estimation, par contre, reste son affaire. « J’évalue en fonction des prix pratiqués par les galeries et ceux des sites de cotations (Artprice et cie.). Mais en réalité, l’estimation reste tributaire de la loi de l’offre et de la demande, des transactions qui se font. Et de quelque chose d’irrationnel parfois qui rend l’art très difficile à évaluer. » « Il n’y a nulle part, pas plus en Europe qu’à New York ou en Chine, des comités d’experts qui se réunissent pour examiner une pièce et délibérer sur le prix qu’ils vont lui fixer », assure-t-elle.


D’où des surprises au cours de certaines ventes, comme celle du prix qu’a enregistré, il y a quelques mois, une petite aquarelle de 1976 signée Olga Limansky représentant l’hôtel Bassoul, qui s’est arrachée à plus du double de son estimation (vendue 7 500 dollars au lieu de 2 500). Un phénomène que la commissaire explique par l’engouement renaissant des collectionneurs libanais envers tout ce qui évoque leurs racines. Ou encore, un magnifique tableau de Dia Azzawi qui s’est vendu, en novembre 2012, à 55 000 dollars alors que le meilleur prix atteint, chez Christies à Dubaï, pour une œuvre de cette période était de 28 000 dollars.


Même si les valeurs sûres, comme les Farroukh, Onsi, Gemayel, Guiragossian, Abboud et autres Kanaan ou Douaihy, restent très prisées des acheteurs, il y a donc toujours un phénomène de chance, une grande inconnue qui entre en jeu dans la vente aux enchères. Car, selon Nada el-Assaad, « la plupart des collectionneurs sont des passionnés et ne réfléchissent pas spécialement en termes spéculatifs ». Et puis, « les comportements des collectionneurs ont changé, fait-elle remarquer. Il y a quelques années, on vendait un tableau parce qu’on avait besoin d’argent. Aujourd’hui, les collectionneurs vendent une toile pour en racheter une autre. Ce qui a aussi beaucoup changé la donne de l’art contemporain dans le monde arabe ce sont les ventes de Christie’s à Dubaï. Cela a, en quelque sorte, redonné ses lettres de noblesse à la peinture libanaise et une plus grande visibilité sur la scène artistico-financière internationale. » D’où l’intérêt à mettre au point un projet fédérateur des auctioneers libanais. Nada Boulos el-Assaad compte s’y atteler, en essayant de convaincre ses collègues du bien-fondé de cette démarche qui contribuerait également à réguler « ce métier passionnant que j’ai la chance d’exercer », conclut-elle.

 

 

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